mercredi 31 mars 2010

Sous les visages : de la difficulté de rendre compte d'une pièce de théâtre

Je sors de la pièce groggy et assez contente d'y être allée seule finalement. En vrai j'appréhendais un peu, j'avais tenté de refuser la place offerte par une copine qui ne pouvait pas y aller. Mais c'était un cadeau de remerciement, bref je n'avais pas pu refuser.

Je sors de la pièce avec des questions et une boule et je n'ai pas envie d'en parler. Pas tout de suite. J'aurais pu rester assise, là, s'il n'avait fallu vider la salle. Le temps de transition "Retour maison" aide un peu à revenir dans ma vie à moi et à ne pas rester sur ce siège. Je commence par me poser les questions et je laisse la boule pour plus tard. Rien qu'en l'écrivant elle refait surface.

Je cherche un peu, que dit-on de cette pièce ? Ce que je lis, ce n'est pas ce que j'ai vu.
Comment en rendre compte alors ? Avec ses tripes, pas en bavardant autour d'un thé et de sucreries. Ca ce sera pour plus tard, après une certaine distanciation d'avec les émotions ressenties. Tout de suite, c'est là bien net dans ma tête et mon ventre. Je regardais les gens autour de moi, ma voisine était prof apparemment et je me demandais comment ils pouvaient bien ressentir toute la réalité de la pièce sans l'avoir vécue, l'expérience du licenciement ? Autour d'eux il doit y en avoir des proches touchés par le fléau. Combien sont sortis de là en fermant bien leur manteau, rassurés de leur sort avec un petit soupir "c'était fort mais c'était beau hein" ? Ah oui.

Les mots clé sont là : licenciement, inadéquation au poste, aliénation au travail. Pour résumer, c'est l'histoire d'une jeune femme, Agnès, qui perd son emploi. Plus exactement, qui se fait licencier. Elle fait plusieurs boulots apparemment, dans quel ordre ce n'est pas très clair : supermarché, télémarketing. La scène de phoning, criante de vérité, une amie me l'a décrite textuellement : laissez vos cerveaux à l'entrée et reprenez-les en partant. Infantilisation, une vente est saluée par des applaudissements. Si certains s'en accomodent, ce n'était pas son cas. La suite, la dépression et un certain laisser-aller.


La deuxième partie m'a un peu perdue en route. D'après les critiques, une membrane réalité/télévision se dissout et on se retrouverait dans une réalité transformée par Agnès. Cet aspect-là ne m'a pas trop marquée, soit que je ne l'ai pas compris, soit qu'il ne m'a pas touchée. Je pense que la pièce a pu être remaniée entretemps, d'après certaines lectures qui du coup ne m'aident pas trop à me retrouver. Aujourd'hui les personnes que je connais ne se rêvent pas à travers un écran de télé mais d'ordinateur, de jeux en réseaux en mondes virtuels, ils se créent un personnage déconnecté de la réalité mais surtout déconnecté d'un monde du travail où ils n'ont pas trouvé leur place ou ne l'ont plus.

C'est peut-être ça "Sous les visages", ce personnage que nous sommes, perçu à un moment par certains, qui n'arrivent pas à comprendre que la réalité est bien plus complexe qu'une case pratique pour ranger les gens, que les définir à travers un métier ne suffit pas et que si le "moi" peut se résumer à ce qu'ils en savent, il ne saurait s'y réduire.

J'ai vraiment aimé le spectacle (surtout le début) ainsi que la mise en scène. Réaliste et poétique. La voix d'ouverture, qui me fait penser à une actrice française dont je ne retrouve pas le nom qui j'espère me reviendra, une voix entre celles de Valérie Bruni Tedeschi et d'Amira Casar. Les acteurs sont excellents, les actrices notamment avec un jeu et une performance de danseuses contorsionnistes. Bravo pour l'accompagnement du Quartz. J'ai mis un moment à comprendre comment fonctionnait le décor, dans lequel les personnages se faisaient happer, apparaissaient ou disparaissaient.


Photo  ©Alain Monot

La première partie m'a fait l'effet d'un miroir, d'où une baffe gigantesque. Elle m'a rappelé des situations vécues, par moi ou par mes proches, racontées comme on peut les raconter sans détour à quelqu'un qui peut comprendre l'angoisse de ne pas avoir de port en vue, qui comprend pour l'avoir vécu de trop près et ne risque pas de s'effondrer face au sentiment d'incapacité dans lequel on se retrouve face à l'autre. Dans le spectacle, c'est une vérité que l'on cache en se forçant pour ne pas faire peur aux parents, suivi de la "mise à nu" (après coup, je repense à l'Adversaire avec Daniel Auteuil, qui relate un fait divers, la vie d'un homme qui a préféré vivre dans le mensonge et tuer sa famille que de les/se confronter à la vérité). Les parents qui ne comprennent pas le contexte, essayent maladroitement d'aider et se trouvent infiniment et tristement inutiles.

J'ai regretté que la colère évoquée au début ne se transforme en rien car ce n'est pas dans ma nature. Ou qu'il n'y ait pas de conclusion à cette colère. En chacun la réponse. Parfois la colère n'aboutit à rien d'autre qu'à l'acceptation de soi-même et de sa situation. Et la seule chose que l'on peut faire, c'est d'accepter, soi ou l'autre, à défaut d'avoir les clés pour tout comprendre.

Sous les visages, pièce de et par Julie Bérès, avec la Compagnie Les Cambrioleurs
Plus ici , et je vois la catégorie choisie par Télérama : théâtre acrobatique.

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